Étienne Bélanger
2018
Polaris est une sculpture monumentale composée d’une bande circulaire métallique bleue ceinturant un assemblage de silhouettes montagneuses se déployant en hauteur. Située en plein cœur du carrefour giratoire Talbot, Polaris met de l’avant plusieurs caractéristiques intrigantes. Peut-on identifier les silhouettes de ces montagnes? À quoi les inscriptions sur la bande métallique font-elles référence? Quelle est la signification derrière l’utilisation de cette teinte de bleu?
Voici donc quelques informations qui permettront d’identifier les éléments figuratifs et thématiques ainsi que les techniques utilisées. Elles vous donneront ainsi l’occasion d’approfondir votre réflexion sur l’œuvre.
À propos de l'artiste
Pour bien saisir l’œuvre et son origine, il est d’abord intéressant de se pencher sur l’artiste qui l’a créée. Étienne Boulanger est un artiste multidisciplinaire qui vit et travaille à Alma, ses œuvres ont été diffusées dans plusieurs centres d’artistes, événements et festivals au Canada, en Pologne, en France, à Singapour, en Indonésie, en Suède, en Belgique et en Chine. En plus d’être titulaire d’une maîtrise en arts de l’Université du Québec à Chicoutimi, il enseigne l’histoire de l’art et la performance au Collège d’Alma dans le programme Arts et technologies informatisées. Depuis 2005, il fait également partie du collectif Cédule 40 à l’intérieur duquel il réalise plusieurs œuvres d’art public érigées un peu partout au Québec, notamment Jardins éphémères pour le 400e anniversaire de la Ville de Québec (2008) et La Glissoire à Alma (2010).
De la peinture à la sculpture
L’histoire de l’art occidentale a eu une grande influence sur la pratique d'Étienne Boulanger. En effet, on y retrouve de nombreuses références aux grands maîtres de la peinture et aux différents courants artistiques, et ce, depuis le tout début de sa carrière. Polaris n’y fait pas exception. Inspiré par l’histoire de la peinture au Canada, plus particulièrement par les artistes membres du Groupe des Sept1, Boulanger a repris des profils de montagnes peintes pour construire une sculpture aux complexes enchevêtrements. Les sommets représentés par J.H.E. Macdonald, Lawrens Harris et Tom Thomson sont de véritables hommages au grandiose et parfois hostile territoire canadien. Contrairement à la plupart de leurs contemporains, ces peintres du début du 20e siècle allaient en pleine nature pour capturer ces panoramas boréaux, effectuant ainsi les mêmes trajets empruntés par les explorateurs et les défricheurs de l’époque. Boulanger n’a donc pas choisi ces artistes au hasard et chacun témoigne d’une zone bien précise : Macdonald, les Maritimes; Thomson, les vallées du Bouclier canadien; Harris, les montagnes Rocheuses. Pour compléter cette cartographie, Boulanger a également repris le travail de deux artistes de la région, celui de Raymond Martin et d’Arthur Villeneuve. Mettant en scène un gigantesque harfang des neiges surplombant une baie verdoyante, l’œuvre Salluit Uupick de Raymond Martin nous donne à voir la dernière région permettant de compléter la cartographie : les fjords du Grand-Nord. Le choix de l’œuvre Le village d’Arthur Villeneuve, quant à lui, nous ramène au décor même dans lequel s'intègre Polaris : celui de Chicoutimi et des monts Valin. Chaque toile citée par Boulanger est ainsi référencée à même la plaque cylindrique bleue, faisant de Polaris une carte topographique des sommets nordiques de même qu’un cartel où sont immortalisés ces grands artistes canadiens et leurs œuvres.
L'étoile du Nord
Polaris est un terme familier pour plusieurs amateurs de véhicules récréatifs, désignant une célèbre marque américaine de motoneige. Il n’est donc pas surprenant de constater que ce mot inspirant le froid et la nordicité signifie « étoile polaire » en latin. L’étoile du Nord, comme elle est également nommée, est un astre qui permettait aux navigateurs et aux peuples autochtones de se diriger dans les contrées inexplorées puisqu’elle possède le même axe de rotation que la terre, donnant ainsi l’impression qu’elle est fixe et que les autres astres tournent autour d’elle. Comme les voitures qui circulent autour du carrefour giratoire, l’œuvre devient l’ancrage, l’étoile qui guide les automobilistes vers de nouvelles directions. En observant attentivement la sculpture, nous pouvons constater que l’étoile n’est pas seulement un concept employé par l’artiste mais sa forme même. Les armatures montagneuses de métal sont ainsi assemblées pour représenter une étoile à cinq branches. Grâce à différentes technologies numériques, notamment l’utilisation de logiciels d’imagerie pour la conception et une découpeuse au laser pour la confection des différentes silhouettes, Étienne Boulanger a réussi à réaliser une construction qui aurait été impensable quelques décennies auparavant. Polaris peut désormais briller dans le firmament comme sur les grandes artères de la ville de Saguenay.
Un royaume
Bien qu’étant un élément assez simple dans la composition de l’œuvre, la bande bleue a une symbolique bien spécifique. Pour Étienne Boulanger, la couleur bleue réfère à la royauté, plus précisément la couronne de saphirs offerte par le Prince Albert à la reine Victoria en 1840, l’année de leur mariage2. Ce diadème, très cher aux yeux de la reine, est un joyau qu’elle portait régulièrement et qui est un peu devenu son emblème. Cette souveraine est d’ailleurs intimement liée à la création du pays, signant la Loi constitutionnelle de 1867 permettant au Canada de voir le jour3. L’histoire de la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean est également marquée par cette idée de royaume. Un récit historique rapporte que Jacques Cartier faisait le voyage sur le Saint-Laurent accompagné de deux Autochtones et ces derniers lui auraient parlé d’un royaume traversé par la rivière Saguenay4. Depuis cette époque, la région ne peut se défaire de cette appellation et l'arbore avec grande fierté. L’artiste est enfin bien conscient que le bleu évoque les importants cours d’eau qui ont façonné le paysage du Saguenay et permis de se développer tant culturellement qu’économiquement. La ceinture bleue de Polaris est donc un constant rappel de l’origine même de notre région : un royaume au bout d’une rivière.
Source : Laurie Boivin, Les Éditions OQP et le centre d'art actuel Bang
Crédit : Paul Cimon Photographe